Elle voyage clandestine dans son enveloppe pour seule destinée. Dans le ventre d’un avion, dans l’antre d’un wagon anonyme, secouée par la machinerie infernale qui la trie, elle court vers celle ou celui qui l’attend unanime. Elle est une espérance qui anime un cœur, bonheur. Elle déchire parfois notre âme, malheur. Comptable, elle peut être dépensière, facture meurtrière. Comme la nuit noire et profonde, elle nourrit aussi les angoisses qui nous rongent. Elle console le soldat dans sa tranchée, blotti. Elle enflamme le cœur d’une femme de ses mots fleuris. Attendue, elle étire langoureux le temps, torture notre patience. Surprise, elle attise notre curiosité, aiguise notre vigilance. Elle consacre le verbe avec la verve d’une pensée construite, et non les mots vaporeux d’une logorrhée volage qui s’envole fortuite.
Longtemps messager d’une correspondance passion, la littérature déborde de ces affres en déclaration, de ces tourments romanesques, de ces envolées lyriques bercée d’émotions qui ne cessent de clamer l’Amour au gré des sentiments. Le papier parfumé, l’encre majesté et l’écriture penchée déclament, en vers, les braises qui consument l’esprit amant. Révoltée, elle crie la liberté, prône l’égalité, dénonce l’injustice, exalte la fraternité. Elle s’amuse du souverain arbitraire en pamphlet Voltaire. En tract, elle court les rues, inonde les journaux et s’immisce maligne dans les arcanes du pouvoir. Elle fomente les révolutions, déclare les guerres, façonne notre Histoire. Dans sa noirceur féconde, elle est aussi la messagère nauséabonde de la rumeur fétide qui nourrit, populiste les esprits petits. Elle est, ce corbeau qui plane, prosélyte sur notre conscience fragile. La lettre porte par ses écrits le pire et le meilleur de nous-mêmes. Numérique elle parcourt, en vitesse lumière, les distances et sonne instantanée à son arrivée. Elle déserte les avions, oublie les wagons, boude les boîtes aux lettres. L’immédiateté a gommé l’attente, la délicieuse torture de l’espérance d’une réponse. La technicité a sacrifié le temps de la réflexion au bûcher de la modernité. Par besoin de célérité, le langage dogme se transforme en raccourci orné d’émoticônes.
Mais virtuelle ou d’encre écrite, la lettre demeure la trace indélébile de nos pensées. Le Mail froisse le papier, mais ne nous dédouane pas de l’évidence qui nous engage, les paroles s’envolent, les écrits restent.
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